Radio 2 (VRT) tente d’élucider une série de mystères ou de faire découvrir des pages de l’histoire de Flandre moins connues L’un de ces mystères est celui d’une longue lettre d’amour retrouvée intacte dans son enveloppe derrière trois couches de papier peint dans une maison à Termonde Cette lettre avait pourtant été envoyée en octobre 1943 d’Allemagne à une adresse dans la commune bruxelloise de Molenbeek Un témoin capital est finalement identifié qui était actif dans la résistance à Termonde Mystères de Flandre: pourquoi la terre est-elle bleue dans le quartier gantois de Sint-Amandsberg Lisa Dewulf achetait il y a 7 ans une maison à Saint-Gilles une commune rattachée à la ville de Termonde en Flandre orientale Les travaux de rénovation de la demeure s’avérèrent ardus : il y avait trois couches de papier peint au premier étage "C’est dans la chambre d’enfant que nous sommes subitement tombés sur une lettre L’enveloppe ouverte était plaquée au mur à hauteur des yeux Nous avons immédiatement vu les timbres à l’effigie d’Adolf Hitler C’était donc une lettre datant de la Deuxième Guerre mondiale Le plus bizarre est que la lettre a été envoyée de Leipzig en Allemagne à une adresse à Molenbeek-Saint-Jean Je me demande donc vraiment comment elle a abouti à Termonde Grâce aux reporters de Radio 2 et l’aide d’auditeurs Elle a été écrite le 25 octobre 1943 et envoyée par recommandé depuis le "Lager Sportplatz" (le Camp de la Place des Sports) de Leipzig en Allemagne L’expéditeur est Jacques Triffaux et la destinataire Jeanne Biesemans à la Rue Jean-Baptiste Janssen 27 à Molenbeek-Saint-Jean Elle est écrite en français et débute avec ces mots : "Mon petit cœur adoré Me revoici la plume à la main pour t’envoyer un peu de nouvelles de ton mari l’exilé et avant de continuer je t’embrasse avec tout mon amour" "C’est une lettre qui décrit des choses assez banales dans un style que nous n’utiliserions plus aujourd’hui" Nous publions à la fin de cet article les six pages de la lettre encore parfaitement conservée après 80 ans Avec l’aide d’informations communiquées par des auditeurs de Radio 2 les reporters Sam De Meulder et Ward Schouppe se sont mis au travail Pourquoi Jacques Triffaux était-il en Allemagne Qui était Jeanne Biesemans à qui la lettre est adressée alors que l’expéditeur s’adresse à Irène dans sa lettre Quel est le lien entre l’adresse de Bruxelles et la maison à Termonde qui y a placé la première couche de papier peint Jeanne Biesemans est en fait la mère d’Irène Biesemans "Le couple s’est marié le 23 juin 1943 et s’est installé au domicile parental d’Irène et résidait avant son mariage dans la commune bruxelloise de Schaerbeek" La lettre a été envoyée quatre mois après leur mariage "Je t’aime aujourd’hui bien plus qu’hier mais bien moins que demain" L’adresse de l’expéditeur figure au dos de l’enveloppe : 'Lager Sportplatz Jacques Triffaux se trouvait donc à l’époque dans un camp de travail allemand Un auditeur de Radio 2 rappelait que le travail obligatoire était courant pendant la Seconde Guerre mondiale qui y étaient envoyés par l’occupant allemand séjournaient dans des camps de travail mais les travailleurs pouvaient se mouvoir assez librement et gagnaient un peu d’argent Une visite au service des Victimes de guerre des archives de l’Etat où sont conservés des documents sur les victimes civiles de la Deuxième Guerre mondiale - comme les prisonniers politiques les victimes de bombardements et les personnes mises au travail - permet aux reporters de Radio 2 de retrouver un petit dossier sur Jacques Triffaux (photo) Il comprend notamment un document de voyage de la commune de Molenbeek le jeune homme de 22 ans prenait le train à Schaerbeek pour l’Allemagne où il était attendu pour du travail obligatoire néerlandais et allemand indiquent qu’il est apte à faire des travaux lourds Deux jours après son arrivée à Leipzig il commençait à travailler dans une usine Un auditeur de Radio 2 a retrouvé qu’il s’agissait de la firme Köllman Werke AG une information confirmée par le Musée allemand sur le travail obligatoire (Gedenkstätte Zwangarbeit) "Cette usine fabriquait des engrenages pour voitures et avions plus tard aussi pour des sous-marins" "Cette entreprise était importante pour l’armée allemande et a fonctionné dès 1940 avec 500 personnes en travail obligatoire de l’Union soviétique et de la Tchécoslovaquie Les travailleurs vivaient dans des baraquements Il y avait des conflits entre Allemands et Belges qui se révoltaient par moments contre leurs mauvaises conditions de vie" Une auditrice retrouvait dans les archives nazies que Jacques Triffaux est rentré quelques temps après en Belgique pour des vacances et qu’il n’est plus retourné par la suite en Allemagne Le 10 mars 1944 il disparaissait et vivait caché jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale On sait que Jacques a survécu à la guerre et qu’il a continué à vivre avec son épouse jusqu’en 1955 à l’adresse de Molenbeek Le couple a ensuite déménagé à Bruges (Flandre occidentale) et n’a jamais eu d’enfant expliquait cependant aux reporters de Radio 2 qu’il y avait des tensions entre Irène et Guillaume qu’ils surnommaient "madame Paris" Elle se serait comportée "comme si elle faisait partie de la jetset" Les anciens voisins d’Irène et Jacques à Bruges apportent un autre éclairage : "Ils étaient venus habiter dans notre rue dans les années 1960 Ils avaient peu de contact avec leur famille Jacques a même été notre témoin de mariage Il travaillait comme représentant et elle cousait de beaux vêtements Ils étaient très appréciés dans le quartier Ils ne nous ont jamais parlé d’une lettre" Via Jacques et Irène Triffaux aucune piste ne mène à la maison de Termonde Les reporters ont donc essayé de savoir qui a vécu dans cette maison avant Lisa Dewulf indiquait avoir habité la maison pendant 12 ans "comme elle l’avait reprise de la famille Bovyn" C’est Marcel Bovyn qui a fait construire l’habitation lorsque Jacques envoyait la fameuse lettre à Irène le nom de Bovyn semble néanmoins connu de nombreux habitants Un auditeur originaire de la commune de Saint-Gilles rapportait que Marcel Bovyn (1893-1988) était directeur d’école et qu’une rue de la commune porte même son nom Le bourgmestre Piet Buyse ajoutait que "Bovyn était avant tout un passionné d’histoire Il a écrit plusieurs livres sur l’histoire de Saint-Gilles et ses environs Il a aussi fait des recherches approfondies sur les noms de lieux Une piste intéressante était lancée par un auditeur de Termonde qui dresse un parallèle entre l’histoire de Bovyn et celle de son propre arrière-grand-père "Ce dernier était aussi directeur d’école et très actif dans la résistance à Baasrode Il racontait comment fonctionnait la communication secrète" L’auditeur estime que c’est dans cette direction qu’il faut chercher une explication à la lettre de Jacques Triffaux "Termonde était une plaque tournante pour les Allemands la résistance y était donc très active" Cette piste amenait Radio 2 à Jo Peeters (photo) conservateur du Musée de la résistance belgo-française Il estime que l’histoire de la lettre pourrait s’inscrire dans un réseau de poste secrète la résistance a utilisé différentes maisons comme boites-aux-lettres C’étaient des adresses où les résistants allaient chercher et déposer des informations Il y avait des circuits de faux noms et faux domiciles les facteurs ou les trieurs postaux étaient impliqués dans le circuit Ils pouvaient retirer du flot de courrier les lettres adressées à certaines adresses et les donner aux résistants Il est possible que ce soit ce qui est arrivé à la lettre d’amour qui nous intrigue" Le scénario semble plausible à Veerle Van Mierlo tout le courrier pour Bruxelles était rassemblé à un endroit central puis distribué Des gens venant de Saint-Gilles près de Termonde travaillaient probablement dans ce centre de tri parce qu’il y avait une ligne directe de train entre Termonde et Bruxelles On sait qu’un groupe de résistants faisait disparaître certains échanges de lettres Plusieurs personnes ont été arrêtées pour cela et envoyées au camp nazie de Breendonk" Utiliser l’adresse d’Irène à Bruxelles était sans doute pratique pour la résistance Un échange de lettres entre mari et femme était moins suspect et passait probablement plus facilement par les mailles du filet de la censure allemande Il est d’ailleurs possible qu’Irène et Jacques n’en aient même rien su Des membres de la résistance pouvaient s’envoyer des lettres aux noms des époux puisqu’ils savaient qu’elles seraient retirées du courrier Mais cela voulait dire que les lettres que s’écrivaient effectivement Jacques et sa femme étaient aussi interceptées … Elles devaient ensuite être livrées personnellement aux amoureux afin qu’ils ne se doutent de rien “L’adresse de Molenbeek est intéressante à cet égard” lorsque cette lettre a été envoyée depuis Leipzig 22 personnes ont été arrêtées à Molenbeek parce qu’elles étaient impliquées dans un échange de lettres secrètes" Le conservateur du Musée de la résistance belgo-française estime que Marcel Bovyn devait être en possession de la lettre de Jacques Triffaux interceptée mais qu’il était alors trop dangereux d’aller la porter à l’adresse d’Irène Biesemans "A l’époque il arrivait très souvent que les gens cachent des choses pour qu’elles ne soient pas retrouvées lors d’un éventuel contrôle de leur habitation" Quoi de plus sûr que de cacher une lettre derrière le papier peint d’une chambre d’enfant Ces spéculations ne sont-elles pas farfelues Jo Peeters relevait cependant de réels éléments de preuve "Le nom de Marcel Bovyn apparait dans un dossier de demande de reconnaissance ont voulu être reconnus comme des héros de la résistance ont dû présenter des témoins une certaine Maria Moens décrit Marcel Bovyn comme maillon dans un réseau de courrier secret" Or Maria Moens était un membre important de la Main Noire une section officieuse de la Brigade Blanche le mouvement de résistance fondé à l’été 1940 à Anvers et qui avait des groupes dans une cinquantaine de villes belges "Maria Moens était coursière et transportait des informations et du matériel Elle les distribuait à d’autres membres du réseau Elle aussi utilisait des maisons boîte-aux-lettres une chose très courante pendant la Seconde Guerre mondiale" confirmait Michèle Corthals de l’Université d’Anvers Pourquoi avoir caché la lettre plutôt que la détruire Si la lettre de Jacques Triffaux mettait la résistance en danger pourquoi Marcel Bovyn (photo) ne l’a-t-il pas simplement détruite "A l’époque on considérait des lettres comme des documents importants surtout si elles venaient d’un camp de travail allemand Les conditions de vie n’y étaient pas bonnes et la guerre commençait à toucher à sa fin Cette lettre aurait pu être la dernière de Jacques Triffaux" "Marcel Bovyn a sans doute caché la lettre derrière le papier peint pour pouvoir la remettre à Irène si son mari décédait et peut-être que Marcel a oublié la lettre après quelques années" deux arrières-petits-enfants de Bovyn ont répondu : "Pour nous Notre arrière-grand-père avait certainement le statut pour faire de la résistance et il ne nous parait pas illogique qu’il ait voulu aider des gens C’est bizarre qu’il n’en ait jamais parlé et que nous ne retrouvions rien dans les archives familiales à ce sujet Nous gardons pourtant tout précieusement dans la famille mais pour cette époque-là il y a effectivement peu de choses qui ont été conservées" "Il est vrai que notre grand-mère racontait que deux soldats anglais - Rich et John - ont vécu cachés dans la maison familiale Ils ont encore souvent écrit après la guerre et ces lettres sont conservées Elles n’avaient pas particulièrement attiré notre attention jusqu’à présent mais dans ce nouveau contexte c’est différent" Radio 2 a contacté les services d’archives britanniques pour obtenir davantage d’informations sur les deux Anglais Le mystère de la lettre cachée à Termonde derrière du papier peint semble résolu mais les reporters Sam De Meulder et Ward Schouppe soulignent qu’il s’agit bien d’une hypothèse mais il reste des éléments en suspens qui pourraient faire basculer toute l’explication De nouvelles informations pourraient aussi donner un autre éclairage à cette histoire Irène et Jacques (photo) auraient-ils eux-mêmes fait partie de la résistance Ou la lettre serait-elle plutôt liée à de la collaboration Y aurait-il un autre lien entre Termonde et Molenbeek n’hésitez pas à contacter la VRT via l’adresse mail mysteries@radio2.be Lisez ci-dessous la lettre de Jacques Triffaux à son épouse Irène